La Grève pour l’Avenir: petit historique et perspectives

Le 27 octobre prochain, puis les 22 et 23 mars 2024, la Grève du Climat Neuchâtel participera à des journées d’action dans la rue et sur les lieux de travail, au nom de la Grève pour l’Avenir. Mais qu’est-ce que c’est, cette Grève pour l’Avenir?

2018: vague de grèves étudiantes

En 2018, dans de nombreux pays, des élèves et étudiant·es se mettent en grève sous la bannière des Fridays for Future (vendredis pour l’avenir) pour alerter sur l’urgence climatique et demander aux autorités d’agir. En Suisse, de telles grèves ont lieu dès fin 2018.

Le 30 décembre 2018, une réunion au niveau suisse marque l’émergence de la Grève du Climat en tant qu’entité semi-structurée. Une date de grève étudiante nationale est posée pour le vendredi 18 janvier 2019, ainsi qu’une date pour un jour de manifestations le samedi 2 février. Des revendications sont adoptées: état d’urgence climatique, neutralité carbone d’ici 2030, changement de système si nécessaire.

En 2019, les grèves étudiantes et les manifestations rythment l’actualité, de même que des motions populaires, tables rondes, actions de désobéissance civile et l’annonce par quelques collectivités publiques de la reconnaissance de l’urgence climatique. À l’interne, plusieurs congrès ponctués de die-in à la gare de Berne et de manifestations sauvages dans les rues de la ville fédérale réunissent des centaines de participant·es. Les revendications centrales sont précisées: neutralité carbone en Suisse d’ici 2030 avec réduction progressive immédiates des émissions de gaz à effet de serre, état d’urgence climatique, justice climatique, toujours avec une clause de changement de système qui sera assumée quelques mois plus tard.

Structurellement, le mouvement se crée de manière décentralisée et chaque groupe régional est indépendant. L’initiative individuelle est encouragée, chaque personne peut agir au nom de la Grève du Climat pour autant qu’elle respecte un codex d’action adopté en congrès (et qui formalise ce qui était déjà appliqué en pratique). Les groupes de travail sont autonomes et se multiplient.

Dans le cadre de grèves étudiantes, de manifestations et de discussions diverses, la Grève du Climat se rapproche de nombreuses structures, comme les Grands-Parents pour le Climat, Extinction Rebellion (créée en 2019) et, ce qui nous intéresse ici, les syndicats.

Un Acte II?

De nombreux·ses militant·es prennent rapidement conscience que des manifestations et grèves étudiantes et des appels aux autorités ne suffiraient pas pour atteindre les objectifs du mouvement. C’est dans cette optique déjà que des liens et discussions, souvent au niveau individuel, avec les syndicats existent, sur le soutien syndical aux mobilisations notamment, mais aussi sur la gestion des caisses de pension, par exemple.

Cette prise de conscience et la volonté d’aller plus loin que les grèves étudiantes se font rapidement collectives, et malgré quelques doutes à l’interne, l’idée d’appeler à une grève générale s’impose.

Le projet d’un Acte II de la Grève du Climat est lancé.

Mobiliser les salarié·es

Le but de cet Acte II: agir sur les lieux de travail, en mobilisant notamment les travailleureuses salarié·es. Des tentatives d’organisation dans des entreprises et dans les écoles professionnelles (où les grèves étudiantes avaient rarement pris) sont lancées.

Fin 2019, des réunions de Workers for Future/Travailleureuses pour le Futur sont convoquées dans plusieurs lieux de Suisse. Les liens entre la Grève du Climat et plusieurs syndicats, notamment le Syndicat des Services Publics (SSP), se renforcent et les groupes comprenant des militant·es de la Grève du Climat et des militant·es et secrétaires de syndicats, mais aussi des salarié·es intéressé·es, essaiment dans tout le pays.

Dès le départ, avec les groupes Workers for Future et même avant, le but a été de définir des revendications localement, entreprise par entreprise, branche par branche, directement par les travailleureuses concerné·es. Nous estimons que ce n’est ni à la Grève du Climat ni aux appareils syndicaux de déterminer des revendications précises, mais bien aux personnes qui connaissent le mieux leur travail. C’est le sens de la Grève pour l’Avenir, et c’est pour cela que des efforts conséquents ont été fournis pour créer des groupes locaux, notamment en Suisse alémanique.

Dès la fin 2019, le nom Strike for Future (Grève pour le Futur, puis Grève pour l’Avenir) est adopté. Un logo suit rapidement (après des débats enflammés). L’organisation diffère d’un canton à l’autre: groupes Workers for Future et coordinations inter-organisations Strike for Future, groupes locaux, groupe unique… Dans le canton de Neuchâtel, un groupe Grève pour l’Avenir est créé en janvier 2019, à la fois coordination entre Grève du Climat et syndicats (et un temps Grands-Parents pour le Climat et Grève féministe) et groupe autonome ouvert à toute personne intéressée. Le nom Workers for Future disparaît rapidement, mais pas la diversité des schémas d’organisation.

Un 15 mai qui s’annonce grandiose

La date du 15 mai est fixée pour une journée de mobilisation et, on l’espère, de grèves. La sauce prend. La section vaudoise du SSP va même jusqu’à obtenir une reconnaissance de non-conciliation avec l’État, rendant licite une grève dans la fonction publique. Dans tout le pays, des groupes se forment, les syndicats s’activent et la Grève du Climat, encore portée par l’élan des débuts, est extrêmement active. Mais arrive la crise covid-19.

Les manifestations massives doivent laisser la place à des actions symboliques en petit comité. Malgré cela, la Grève pour l’Avenir continue, une coordination nationale s’organise, les groupes locaux se maintiennent, les liens entre Grève du Climat et syndicats perdurent. Les actions, les conférences – souvent en ligne, le travail de fond continuent. Dans le canton de Neuchâtel, la manifestation du 4 septembre 2020 est organisée par le collectif de la Grève pour l’Avenir. En vue du 21 mai 2021, report de la journée prévue l’année précédente, un manifeste est publié, suite à un processus participatif qui a impliqué des activistes de nombreux collectifs et organisations de toute la Suisse. Arrive cette journée de mobilisation nationale du 21 mai 2021: encore en pleine pandémie, les manifestations sont impressionnantes et plus de 150 groupes locaux et régionaux ont annoncé des actions (jusqu’au Liechtenstein!), ce à quoi il faut ajouter des mobilisations syndicales. Mais à part une action conjointe Unia – SSP – Grève du Climat (avec une militante des Grands-Parents pour le Climat) à Perreux, dans le canton de Neuchâtel, la mobilisation sur les lieux de travail est à la traîne (avant la manifestation, des militant·es de la Grève du Climat ont également accompagné des secrétaires d’Unia sur des chantiers).

La mobilisation n’en continue pas moins. Au niveau suisse, la coordination nationale prend de plus en plus de poids. Une coordination romande émerge. La Grève pour l’Avenir est régulièrement à l’agenda des réunions syndicales. Malgré des hauts et des bas, les groupes régionaux se réactivent périodiquement. L’intérêt reste fort: en février 2022, dans le cadre d’une campagne romande contre AVS21, ce qui devait être une simple conférence se transforme en petite manifestation à Neuchâtel. Mais les activistes sont mitigé·es quand arrive la journée d’action nationale du 9 avril: les manifestations sont animées, relativement nombreuses et bien fournies malgré une météo peu clémente, mais les actions sur les lieux de travail sont inexistantes.

Stratégie à moyen-terme

Les militant·es regroupé·es au sein de la coordination nationale prennent le problème à bras-le-corps et tentent d’établir une stratégie à moyen terme pour relancer et renforcer la Grève pour l’Avenir. Pour éviter d’agir dans la précipitation et pour se donner le temps de réaliser un travail de fond, il est décidé fin 2022 d’annoncer deux (ou plutôt trois) dates de mobilisation. D’abord le 27 octobre 2023. Puis, surtout, les 22 et 23 mars 2024. Le but pour 2024: tout faire pour se mobiliser dans le « monde du travail » et appeler à la grève.
Pourquoi cet objectif ambitieux? Parce que nous estimons que l’urgence est telle qu’il faut agir sans attendre, que la politique institutionnelle est incapable de répondre à la crise, et que la grève est un des outils les plus puissants de notre camp social

C’est pour cela que la Grève du Climat Neuchâtel fait de la Grève pour l’Avenir une de ses priorités.

Quelle situation actuellement?

La Grève pour l’Avenir s’est développée selon un modèle proche de celui de la Grève du Climat, décentralisée, sans direction centrale, ouverte à toute personne ou groupe qui le souhaite, avec une grande variété en termes d’organisation d’une région à l’autre.

Après l’élan de 2019 et début 2020, le covid-19 a réorienté les priorités syndicales. Les centrales et certains groupes régionaux ont continué à s’impliquer, mais de moins en moins – à part dans certaines régions, comme le canton de Neuchâtel, où le SSP puis Unia ont continué à se mobiliser. Après le 9 avril 2022, le bilan est clair: le travail de fond n’a pas été suffisant. Le côté bouillonnant et spontané du début a aussi laissé la place à une coordination nationale plus centrale, mais qui a peiné à se mettre d’accord sur son rôle et s’est parfois perdue dans des débats peu concrets. La Grève du Climat, qui avait décidé que la Grève pour l’Avenir serait son projet central, s’est engagée dans de multiples actions chronophages: occupation de la place fédérale fin 2020 avec la coordination Debout pour le Changement, référendum contre la Loi CO2 (certains groupes l’ont soutenue), soutien à la ZAD de la Colline, mais aussi grèves étudiantes, manifestations, conférences, désobéissance civile, motions populaires, référendums divers, opposition (parfois victorieuse) au développement des infrastructures fossiles…

Résultat: des 150 groupes locaux et régionaux actifs en mai 2021, on était passé à moins du dixième une année et demie plus tard. Et d’un mouvement ouvert, la Grève pour l’Avenir glisse vers un fonctionnement et une logique d’organisation.

Malgré des prises de position répétées de fédérations de l’Union Syndicale Suisse (USS) (Unia, SSP, sev, Syndicom) et de l’USS elle-même, de Syna (membre de Travail.Suisse) de SUD-EP et surtout de la FAU (membres de Syndibasa), malgré l’engagement de la Grève du Climat, malgré des liens entre Grève du Climat et syndicats (par exemple Unia Zurich), malgré une mobilisation en continu, la Grève pour l’Avenir n’est pas encore revenue à son niveau de début 2021.

En septembre 2023, la coordination nationale est de facto assumée par la coordination romande, et les groupes réellement actifs sont peu nombreux: le SIT à Genève, le groupe cantonal vaudois, le groupe cantonal neuchâtelois avec la Grève du Climat, Unia et le SSP, le groupe cantonal bernois avec notamment la Grève du Climat et la FAU.

L’intérêt reste fort, mais nombre de militant·es, collectifs ou sections syndicales attendent que des événements soient organisés clefs-en-main pour s’y impliquer, et prévoient de s’y investir uniquement le jour J.

On peut craindre, si rien ne change, que les actions de la Grève pour l’Avenir se cantonnent à organiser des manifestations de rue et des événements symboliques ainsi que quelques conférences et à soutenir des mobilisations syndicales. Des efforts louables et importants, mais loin de la grève générale.

Comment relancer la machine?

Des actions sont prévues le 27 octobre dans les cantons de Genève, Vaud, Neuchâtel et Berne. Toutes les initiatives (manifestations, actions symboliques, mobilisations sur les lieux de travail) sont les bienvenues dans toute la Suisse. Le but est de préparer le terrain pour les 22 et 23 mars 2024. Pour cette date, nous appellerons à la grève (sans penser qu’on puisse attendre aussi tôt la deuxième grève générale de l’histoire suisse). Pour cela, le travail de fond et la mobilisation dans la durée sont nécessaires.

Si la Grève du Climat Neuchâtel défend cette ligne ferme que d’aucuns qualifieraient d’irréaliste, c’est que nous ne voulons pas que nos journées d’action se limitent à des manifestations de rue ou soient des festivals pour le climat. De telles actions sont utiles, nécessaires même. Mais si la Grève pour l’Avenir se contente de soutenir des mobilisations syndicales sans y apporter grand-chose de novateur et d’organiser des manifestations, elle n’amène pas beaucoup par rapport aux syndicats et à la Grève du Climat.

Les syndicats sont en effet bien plus efficaces que la Grève pour l’Avenir pour organiser des mobilisations syndicales « classiques ». Et la Grève du Climat est plus efficace pour organiser tout un éventail d’actions. L’intérêt de la Grève pour l’Avenir est d’une part de lier les enjeux écologiques et sociaux, d’autre part d’organiser des mobilisations sur les lieux de travail et surtout des grèves, outil formidablement puissant. Ces mobilisations, outre leur force si elles aboutissent à des arrêts de travail, présentent aussi l’intérêt d’empouvoirer les salarié·es mobilisé·es et de renforcer les logiques d’action directe et de démocratie de base. L’objectif est donc d’avoir un mouvement large, combatif, mais aussi radicalement démocratique.

Et pour réaliser cela, il faut essayer de revenir à une conception décentralisée et pluraliste de la Grève pour l’Avenir. Chaque personne, chaque groupe motivé devrait se saisir de l’idée et de l’identité de la Grève pour l’Avenir. Pour nous, la Grève pour l’Avenir doit être un label qu’on peut s’approprier, une idée de fond, un mouvement vivant et pluriel. Elle ne doit pas devenir une organisation où on entre par cooptation et où les décisions sont centralisées (à part lorsque cela est nécessaire, par exemple pour fixer des dates nationales).

Vous pensez que les enjeux sociaux et écologiques doivent être traités conjointement? Vous défendez des positions écologistes dans un syndicat? Vous voulez convaincre les habitant·es de votre village de se mobiliser pour l’environnement? Vous estimez que les salarié·es devraient formuler des demandes concrètes en phase avec leur expérience et leur expertise professionnelle? Vous croyez qu’on ne peut pas laisser à la politique politicienne le soin de trouver des solutions et de les appliquer? La Grève pour l’Avenir est faite pour vous.

Rejoignez un groupe régional de la Grève du Climat, formez un groupe de travail dans votre syndicat, fondez un groupe local de la Grève pour l’Avenir dans votre quartier, mobilisez votre collectif féministe. Écrivez-nous, affichez le logo de la Grève pour l’Avenir, organisez ce qui a du sens dans votre contexte.

La Grève pour l’Avenir, c’est nous toustes. N’attendons pas que quelqu’un·e agisse à notre place. Il est plus que temps d’intensifier notre mobilisation.

Neuchâtel, 4 septembre 2020

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