Position de la Grève pour l’Avenir
En 2025, la convention nationale (CN) du secteur principal de la construction (gros-œuvre), sera renégociée entre organisations syndicales (Unia, Syna) et patronale (Société Suisse des Entrepreneurs. Depuis plusieurs mois, les maçons se mobilisent pour leurs conditions de travail. La Grève pour l’Avenir appuie leur lutte avec enthousiasme.
Nous présentons ici nos positions sur le secteur de la construction, les luttes des travailleur·euses et leur potentiel pour une transformation éco-sociale de la société.
Nous appuyons les revendications liées à la baisse du temps de travail, au paiement des pauses et des temps de déplacement, aux augmentations de salaire. Nous appelons aussi à avancer sur les problématiques liées aux intempéries et aux canicules, et plus largement à s’emparer des grands enjeux sociaux et écologiques
La construction, une vieille préoccupation sociale
Dès le XIXe siècle, les organisations ouvrières ont souligné (sans forcément utiliser ces termes) l’importance de l’urbanisme, de l’aménagement urbain et d’avoir des bâtiments agréables et sains, à une époque où le développement du capitalisme a fait pousser de nombreuses villes où les prolétaires s’entassaient dans des taudis ; dans un tissu urbain qui n’offrait pas à la grande masse des travailleur·euses d’espace autre que des rues souvent sans égouts, des logements indécents d’où iels devaient fréquemment déménager, et l’usine, où les cadences infernales et les journées de 12, 14, 16 heures voire plus épuisaient hommes, femmes et enfants.
Les préoccupations ont aussi très vite porté sur les conditions de travail extrêmement dures des ouvriers du bâtiment, des terrassiers, et d’autres professions proches.
À la pointe du combat syndical
Le secteur de la construction – à la fois ce qu’on appelle aujourd’hui le gros- et le second-œuvres – a été à l’avant-garde des luttes syndicales, débordant souvent le cadre des revendications portant sur le salaire ou les heures de travail. Très tôt, les organisations ouvrières ont mené des luttes exemplaires et enchaîné les victoires. En Suisse, au début du XXe siècle, la combativité des ouvriers de la construction s’exprimait à la fois dans les organisations syndicalistes révolutionnaires (notamment la FUOSR) et dans les rangs de l’USS. C’est la FOBB (Fédération des ouvriers du bois et du bâtiment, membre de l’USS) qui a lancé la Ligue d’Action du Bâtiment, d’abord à Genève avant qu’elle essaime ailleurs. Ses militants pratiquaient l’action directe pour faire respecter les conventions aux patrons, en allant le week-end détruire tout ce qui avait été construit sans respecter les contrats collectifs. Ils ont aussi détruit des taudis pour forcer les autorités à reconstruire des logements décents pour les familles ouvrières, n’hésitant pas à affronter la police. Les militants de la construction ont aussi souvent été en pointe de la lutte antifasciste, et certains ont fait respecter leurs droits par la grève même pendant la Seconde Guerre mondiale. Des coopératives ont été créées pour employer les militants que les patrons ne voulaient plus engager.
Plus proche de nous, les travailleur·euses du secteur principal de la construction ont obtenu en 2002 la retraite anticipée à 60 ans au lieu de 65 ans, après de grosses mobilisations et une des plus grosses vagues de grèves que la Suisse a connues depuis la Deuxième Guerre mondiale. Nous considérons que c’est une des victoires syndicales les plus importantes des dernières années. Les mobilisations et les grèves continuent : en 2022, elles ont permis de renouveler et améliorer la CN.
Les luttes des maçons leur ont permis d’améliorer leurs conditions de travail et de partir à la retraite plus tôt. Ces luttes bénéficient aussi aux autres métiers de la construction et à l’ensemble des salarié·es et montrent que si on se mobilise, on peut obtenir de grandes améliorations.
L’impact écologique
Sur le plan écologique, la construction (bâtiments, routes, génie civil…) a un bilan assez négatif : artificialisation des sols, usage immodéré de béton – qui a un impact environnemental et social désastreux –, usage historique de matériaux toxiques comme l’amiante… Ce n’est pas une fatalité, mais en l’état actuel des choses, conserver les emplois et construire des choses utiles pour la population entre souvent en contradiction avec la préservation de l’environnement.
On pourrait croire que cela a freiné les luttes écologistes dans le domaine, par crainte de nuire à l’emploi. Pourtant, dès 1983, le syndicat le plus important du secteur, la FOBB, a développé des revendications alliant enjeux du travail, enjeux sociaux et enjeux écologiques : économies d’énergie en isolant les bâtiments et en promouvant le solaire, développement des transports en commun et des pistes cyclables, mais aussi réduction du temps de travail, construction d’installations pour les personnes âgées, amélioration des terres agricoles, protection contre le bruit, défense des forêts attaquées par le bostryche.
Cet état d’esprit a été conservé lors de la formation du SIB (Syndicat de l’industrie et du bâtiment) puis d’Unia, malgré des tendances productivistes ou faisant passer l’emploi avant tout. Le secteur syndical de la construction est donc depuis longtemps impliqué dans les luttes écologistes, bien avant la vague de mobilisations écologistes de 2018-2019 et la Grève pour l’Avenir.
Pour une transformation éco-sociale
Le secteur de la construction est d’une importance capitale pour le mouvement social, à la fois parce qu’il est socialement nécessaire et parce qu’il est un bastion syndical combatif et déterminé.
Les travailleureuses réclament, avec Unia, la baisse du temps de travail, le paiement des déplacements, une pause payée et des augmentations de salaire. Ces revendications sont légitimes et nécessaires. À la Grève pour l’Avenir, nous voulons mettre en avant aussi d’autres problématiques:
- Protection contre les intempéries et les canicules, de plus en plus fortes et fréquentes ;
- Droit à la reconversion professionnelle payée par le patronat, notamment pour les personnes qui ne pourraient plus travailler dans le secteur ;
- Interdiction de licencier les travailleur·euses âgé·es sans leur proposer un autre emploi ou une reconversion.
- Réflexion sur les matériaux utilisés et baisse de l’usage du béton ;
- Réflexion sur ce qui est construit : il faut construire moins et mieux.
Tout comme nous réclamons, aux côtés de la Grève du Climat, une politique industrielle socio-écologique, nous réclamons un changement profond du secteur de la construction, un changement qui prend en compte les enjeux environnementaux et qui s’assure que les mesures prises sont socialement juste, et même qu’elles améliorent la justice sociale. Ce changement ne pourra venir que si les mobilisations et les grèves sont massives et que les revendications sont développées et défendues par les travailleur·euses de la construction.