Loi climat: commentaire article par article

Loi fédérale sur les objectifs en matière de protection du climat, sur l’innovation et sur le renforcement de la sécurité énergétique (LCl)

du 30 septembre 2022

Soumise à votation populaire (référendum facultatif) le 18 juin 2023

Commentaire article par article.

Art. 1 But

La présente loi vise à fixer les objectifs suivants, conformément à l’accord du 12 décembre 2015 sur le climat:

  1. réduction des émissions de gaz à effet de serre et utilisation de technologies d’émission négative;
  2. adaptation et protection face aux effets des changements climatiques;
  3. orientation des flux financiers de manière à les rendre compatibles avec un développement à faible émission capable de résister aux changements climatiques.

Pas trop mal, mais dommage de ne pas parler d’objectifs précis (l’Accord de Paris vise à ce que la hausse des températures au niveau mondial depuis l’ère pré-industrielle reste largement en-dessous de 2 degrés Celsius, et si possible en-dessous d’1,5 oC.

Art. 2 Définitions

Au sens de la présente loi, on entend par:

  1. technologies d’émission négative: procédés biologiques et techniques visant à extraire de l’atmosphère du CO2 et à le fixer durablement dans les forêts, les sols, les produits en bois ou d’autres puits de carbone;
  2. émissions directes: émissions de gaz à effet de serre générées lors de l’exploitation, notamment lors de la combustion d’agents énergétiques et lors de processus;
  3. émissions indirectes: émissions de gaz à effet de serre générées lors de la mise à disposition de l’énergie achetée;
  4. zéro émission net: réduction la plus importante possible des émissions de gaz à effet de serre et compensation de l’effet des émissions restantes grâce au recours à des technologies d’émission négative.

On remarquera que les émissions permises ou causées par des investissements financiers ne rentrent pas dans ces définitions.

Art. 3 Objectifs en matière de réduction des émissions et de technologies d’émission négative

1 La Confédération veille à ce que l’effet des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine générées en Suisse soit ramené à zéro d’ici à 2050 (objectif de zéro net) grâce aux mesures suivantes:

  1. réduire le plus possible les émissions de gaz à effet de serre, et
  2. compenser l’effet des émissions de gaz à effet de serre restantes en recourant à des technologies d’émission négative en Suisse et à l’étranger.

2 Après 2050, la quantité de CO2 extraite et stockée en recourant à des technologies d’émission négative doit être supérieure aux émissions de gaz à effet de serre restantes.

3 La Confédération veille à ce que les émissions de gaz à effet de serre soient réduites par rapport à 1990; les objectifs intermédiaires sont les suivants:

  1. entre 2031 et 2040: d’au moins 64 % en moyenne;
  2. jusqu’en 2040: d’au moins 75 %;
  3. entre 2041 et 2050: d’au moins 89 % en moyenne.

4 Les objectifs de réduction doivent être réalisables sur le plan de la technique et économiquement supportables. Dans la mesure du possible, ils doivent être atteints grâce à des réductions d’émissions réalisées en Suisse.

5 Dans le cadre de leurs compétences, la Confédération et les cantons veillent à ce que, au plus tard d’ici à 2050, des puits de carbone soient disponibles en Suisse et à l’étranger en quantité suffisante pour atteindre l’objectif de zéro net. Le Conseil fédéral peut fixer des valeurs indicatives pour le recours à des technologies d’émission négative.

6 Les émissions générées par les carburants dont les pleins sont effectués en Suisse pour les transports aérien et maritime internationaux sont prises en considération en vue d’atteindre les objectifs visés aux al. 1 et 2.

En 2018, le GIEC estimait que les pays riches (dont la Suisse) devraient atteindre la neutralité carbone d’ici 2030, et le monde entier d’ici 2050 avec réductions rapides et importantes des émissions de gaz à effet de serre (GES) pour avoir 2 chances sur 3 de limiter le réchauffement global à 1,5 oC. En 2022, le GIEC estimait qu’il fallait que le pic de consommation énergétique mondial culmine en 2025 pour avoir 1 chance sur 2 de limiter le réchauffement à 1,5 oC. L’objectif de l’art. 2 al. 1 est louable mais pas suffisant.

L’art. 2 al. 1. let. c prévoit des mesures à l’étranger. L’effet de ce genre de projets, souvent (comme dans la LCO2 rejetée en votation) appelées “compensations” est souvent suréavalué (voir https://climate.ec.europa.eu/system/files/2017-04/clean_dev_mechanism_en.pdf) et assez souvent désastreux socialement. Si les termes ont changé, on est bien en face de la même logique de “compensation” à l’étranger.

Les objectifs de l’al. 3 sont logiquement insuffisants (pour autant qu’on les tienne, ce qui arrive rarement en Suisse), d’autant plus que les investissements financiers ne seront dans les faits probablement pas concernés.

L’al. 4 prévoit que les mesures doivent être économiquement supportables. Dans les faits, cela signifie que les organisations patronales auront une voix prépondérante (l’économie, dans ce genre de contexte, ce n’est jamais l’intérêt commun, la production ou la productivité, c’est toujours les intérêts de la minorité possédante).

L’al. 6 est une nette avancée par rapport aux lois précédentes, mais est tellement vague qu’on peut légitimement douter que la prise en compte se fasse de manière appropriée.

Art. 4 Valeurs indicatives pour les différents secteurs

1 Les objectifs de réduction visés à l’art. 3, al. 1 et 3, doivent être atteints en réduisant au moins les émissions de gaz à effet de serre en Suisse par rapport à 1990 comme suit:

  1. dans le secteur du bâtiment:

        1.jusqu’en 2040: de 82 %,

        2. jusqu’en 2050: de 100 %;

  1. dans le secteur des transports:

        1. jusqu’en 2040: de 57 %,

        2. jusqu’en 2050: de 100 %;

  1. dans le secteur de l’industrie:

        1. jusqu’en 2040: de 50 %,

        2. jusqu’en 2050: de 90 %.

2 Après consultation des milieux concernés, le Conseil fédéral peut, en conformité avec l’al. 1, fixer des valeurs indicatives pour d’autres secteurs ainsi que pour des gaz à effet de serre et des émissions générées par les agents énergétiques fossiles. Il tient compte des connaissances scientifiques les plus récentes, des nouvelles technologies disponibles et de l’évolution au sein de l’Union européenne.

Comme dit plus haut, il manque les émissions générées grâce ou à cause des investissements financiers. Il faut noter que le secteur de l’industrie n’est pas censé arriver lui-même à un bilan d’émissions net nul, ce qui ne serait pas un problème si la planification économique de la Suisse mettait l’accent sur la préservation de l’environnement. En l’état, cela signifiera probablement que pour atteindre les objectifs, l’État palliera les “manques” de l’industrie.

L’agriculture, importante émettrice, n’est pas concernée.

L’al. 2 laisse une marge de manœuvre, qui sera probablement peu utile étant donné que dans les faits, “consulter les milieux concernés” signifie consulter les organisations patronales.

Art. 5 Feuilles de route pour les entreprises et les branches

1 Toutes les entreprises doivent avoir ramené leurs émissions à zéro net d’ici à 2050 au plus tard. Dans ce contexte, au moins les émissions directes et les émissions indirectes doivent être prises en considération.

2 Afin d’atteindre l’objectif visé à l’al. 1, les entreprises et les branches peuvent élaborer des feuilles de route.

3 La Confédération met à disposition des bases, des normes et des conseils professionnels aux entreprises ou aux branches qui élaborent de telles feuilles de route d’ici à 2029. Elle peut tenir compte de normes internationales reconnues en la matière.

Mieux que rien, voire même pas mal.

Art. 6 Encouragement de technologies et de processus innovants

1 La Confédération assure aux entreprises jusqu’en 2030 des aides financières pour le recours à des technologies et processus innovants leur permettant de mettre en œuvre les feuilles de route visées à l’art. 5, al. 2, ou différentes mesures prévues par celles‑ci.

2 Les aides financières sont versées par le biais d’instruments d’encouragement existants.

3 Le Conseil fédéral règle notamment:

  1. les exigences auxquelles doivent répondre les différentes mesures;
  2. la date à laquelle les feuilles de route ou les différentes mesures doivent être mises en œuvre.

4 Aucune contribution n’est versée pour les mesures déjà encouragées d’une autre manière ou incluses dans un instrument de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

5 L’Assemblée fédérale accorde un crédit d’engagement de six ans par voie d’arrêté fédéral simple.

Probablement pas trop mal, même s’il y a de grands risques que quelques grandes entreprises et les capitalistes à leur tête en profitent pour s’en mettre plein les poches.

Art. 7 Couverture des risques

La Confédération utilise par ailleurs les moyens visés à l’art. 6, al. 5, pour couvrir les risques liés aux investissements dans les infrastructures publiques nécessaires pour atteindre l’objectif de zéro net. Le Conseil fédéral règle les modalités.

A priori rien à redire à cette mesure.

Art. 8 Adaptation et protection face aux effets des changements climatiques

1 Dans le cadre de leurs compétences, la Confédération et les cantons veillent à ce que les mesures nécessaires à l’adaptation et à la protection face aux effets des changements climatiques soient prises en Suisse.

2 Il s’agit en priorité d’éviter une augmentation des dommages causés par les changements climatiques à l’être humain et aux biens, notamment à la suite:

  1. de la hausse de la température moyenne et de la modification du régime de précipitations;
  2. d’événements extrêmes intensifs, fréquents et durables;
  3. de modifications des milieux naturels et de la composition des espèces.

Dans l’idée, c’est très bien. Dans les faits, ce genre de formulation générale existe déjà dans le droit suisse mais l’application laisse à désirer. De plus, il ne faudrait pas laisser croire qu’on peut s’adapter “simplement”, sans réduction des émissions de GES.

Art. 9 Objectif visant à rendre les flux financiers compatibles avec les objectifs climatiques

1 La Confédération veille à ce que la place financière suisse apporte une contribution effective à un développement à faible émission capable de résister aux changements climatiques. Il s’agit notamment de prendre des mesures de réduction de l’effet climatique des flux financiers nationaux et internationaux.

2 Le Conseil fédéral peut conclure, avec les secteurs financiers, des conventions visant à rendre les flux financiers compatibles avec les objectifs climatiques.

La formulation est vague, et il y a fort à parier que la place financière suisse continuera malgré cet article d’être absolument catastrophique.

Art. 10 Rôle de modèle de la Confédération et des cantons

1 La Confédération et les cantons jouent un rôle de modèle pour atteindre l’objectif de zéro émission net et de l’adaptation aux effets des changements climatiques.

2 D’ici à 2040, l’administration fédérale centrale doit avoir au minimum atteint l’objectif de zéro émission net. En plus des émissions directes et indirectes, les émissions générées en amont et en aval par des tiers sont également prises en considération.

3 Le Conseil fédéral fixe les mesures nécessaires pour atteindre cet objectif. Il peut prévoir des exceptions liées à la sécurité du pays et à la protection de la population. Il informe régulièrement l’Assemblée fédérale sur le degré d’atteinte de l’objectif.

4 Les cantons visent au minimum l’objectif de zéro émission net à partir de 2040 pour leurs administrations centrales; il en va de même pour les entreprises liées de la Confédération. La Confédération les soutient dans leur rôle de modèle en leur fournissant les bases nécessaires.

L’objectif à 2040 reste trop peu ambitieux (pour autant qu’il soit atteint), mais ça reste une avancée. Il faudra faire attention à ce que les exceptions prévues à l’al. 3 peuvent recouvrir.

Art. 11 Mise en œuvre des objectifs

1 Après avoir entendu les milieux concernés et en tenant compte des connaissances scientifiques les plus récentes, le Conseil fédéral soumet suffisamment tôt à l’Assemblée fédérale des propositions de mise en œuvre des objectifs de la présente loi:

  1. pour la période allant de 2025 à 2030;
  2. pour la période allant de 2031 à 2040;
  3. pour la période allant de 2041 à 2050.

2 Les propositions visées à l’al. 1 doivent être mises en œuvre en premier lieu dans la loi du 23 décembre 2011 sur le CO2.

3 Les propositions du Conseil fédéral visent un renforcement de l’économie et l’acceptabilité sur le plan social.

4 Dans le cadre de leurs compétences, la Confédération et les cantons s’engagent, en Suisse et dans le contexte international, en faveur de la limitation des risques et des effets des changements climatiques, conformément aux objectifs de la présente loi.

Il est à craindre que les milieux patronaux, généralement peu écologistes, aient un poids important, mais cela reste une avancée. De même, dans ce genre de contexte, “l’économie” signifie généralement les intérêts des capitalistes les plus puissant·es et les mieux organisé·es, dont les objectifs nuisent à la majorité de la population. Mais la situation ne devrait pas empirer avec cette loi.

Art. 12 Relation avec d’autres actes

1 Les prescriptions d’autres actes fédéraux et d’actes cantonaux, notamment dans les domaines du CO2, de l’environnement, de l’énergie, de l’aménagement du territoire, des finances, de l’agriculture, de l’économie forestière et de l’industrie du bois, des transports routiers et aériens et de l’imposition des huiles minérales, doivent être conçues et appliquées de sorte à contribuer à atteindre les objectifs de la présente loi.

2 En cas de situation particulière dans les régions de montagne et les régions périphériques, un soutien supplémentaire doit être prévu.

Encore une fois, la finance (le secteur bancaire, le négoce) n’est honteusement pas touché. L’al. 2 est une bonne chose.

Art. 13 Exécution

1 Le Conseil fédéral assure l’application de la présente loi et édicte les dispositions d’exécution.

2 Il peut confier certaines tâches aux cantons ou à des organisations privées.

Plutôt bien, même si cela laisse une marge de manœuvre pour déléguer des tâches importantes à des organismes privés peu recommandables (mais l’absence de cette précision limiterait énormément les possibilités, et empêcherait de pouvoir par exemple confier des mandats à Pro Natura ou à la Station ornithologique suisse.

Art. 14 Modification d’un autre acte

La modification d’un autre acte est réglée en annexe.

Procédure habituelle.

Art. 15 Référendum et entrée en vigueur

1 La présente loi est sujette au référendum.

2 Elle est publiée dans la Feuille fédérale dès lors que l’initiative populaire du 27 novembre 2019 «Pour un climat sain (initiative pour les glaciers)» a été retirée ou rejetée.

3 Le Conseil fédéral fixe la date de l’entrée en vigueur.

Procédure habituelle. L’al. 2 s’explique par le fait que cette loi est conçue comme un contre-projet indirect à l’initiative pour les glaciers. Le comité d’initiative a jugé que cette loi était plutôt convenable, et que la rapidité de sa mise en œuvre (contrairement à une initiative populaire, qui demande ensuite une loi d’application dont l’élaboration est souvent longue) justifiait le retrait de l’initiative.

Annexe

(art. 14)

Modification d’un autre acte

La loi du 30 septembre 2016 sur l’énergie est modifiée comme suit:

Insérer l’art. 50a avant le titre de la section 2

Art. 50a Programme d’impulsion de remplacement des installations de production de chaleur et de mesures dans le domaine de l’efficacité énergétique

1 Dans le cadre d’un programme d’impulsion doté de 200 millions de francs par année et limité à une durée de dix ans, la Confédération encourage le remplacement des installations de chauffage à combustible fossile et des chauffages électriques fixes à résistances par une production de chaleur à base d’énergies renouvelables, ainsi que les mesures dans le domaine de l’efficacité énergétique.

2 Les cantons se chargent de l’exécution dans le cadre des structures existantes, conformément à l’art. 34 de la loi du 23 décembre 2011 sur le CO2.

3 Les fonds sont versés aux cantons dans une contribution de base par habitant. Le Conseil fédéral peut tenir compte, pour le versement des fonds, des efforts déjà entrepris par les cantons dans le domaine du bâtiment.

4 Le Conseil fédéral règle les détails, en particulier le montant des subventions, en tenant compte de l’absence de système de distribution de chaleur. Il soutient en particulier les installations de moyenne et grande puissance pour le remplacement des installations de chauffage à combustible fossile et fixe les exigences minimales du programme d’impulsion.

5 L’Assemblée fédérale accorde un crédit d’engagement de dix ans par voie d’arrêté fédéral simple.

Art. 53, al. 2, 1re phrase, al. 2bis et 3, let. a

2 Les aides financières au titre des art. 47, 48 et 50 ne peuvent excéder 40 % des coûts imputables. …

2bis Les aides financières au titre de l’art. 49, al. 2, ne peuvent excéder 50 % des coûts imputables. Exceptionnellement, elles peuvent s’élever à 70 % pour les installations et projets pilotes présentant un stade de maturité technologique peu avancé et un risque financier élevé. La dérogation est fonction de l’intérêt particulier que ces projets représentent pour la Confédération et du rapport coût-utilité.

3 Sont réputés coûts imputables:

  1. pour les aides financières au titre de l’art. 49, al. 2: les coûts non amortissables directement liés au développement et au test des aspects innovants du projet;

En cas d’acceptation de la LCl, des sommes relativement importantes (quoiqu’insuffisantes) seront garanties, ce qui est une très bonne chose même si l’utilisation de ces sommes ne sera probablement pas optimale. Le milliard dévolu aux remplacements de chauffages sera plus que bienvenu, le chauffage étant un des principaux émetteur de GES en Suisse. On peut toutefois regretter le manque de mesures contraignantes dans ce domaine.

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