Fraises en janvier, vraiment – Ce n’est pas le doute qui rend fou, c’est la certitude

[Note de blog. Ce texte n’engage pas la Grève pour le Climat. Ce blog est ouvert à tou.te.s, n’hésitez pas à envoyer vos textes à [email protected]]

Écrit par Justine

On est là. Tous dans la rue. A côté de moi ma petite sœur, les cheveux au vent et le sourire aux lèvres. Elle me regarde et je reconnais la flamme dans ses yeux puisqu’elle habite aussi les miens : en cet instant nous faisons partie d’un tout, nous sommes plus que nos petites personnes, et surtout nous nous sentons moins seul.es face à l’angoisse permanente des années futures. Nous sommes des dizaines de milliers à marcher dans les rues de Lausanne, et nos cris de rage s’unissent pour ne former qu’une seule voix. On. Veut. Un. Changement. Politique. J’observe les gens autour de moi tandis que ma sœur mitraille les pancartes, un appareil photo pendu autour de son cou. Clic clic. Autour de nous des enfants, des adolescents, des adultes et des retraité.e.s aussi. Malgré la frayeur dans nos cœurs, nous sommes joyeux. Parce qu’on est là. Le poing en l’air. Finalement. On y arrive. Plus chaud, plus chaud, plus chaud que le climat on est plus chaud. Nous passons devant Crédit Suisse. Moins de banquiers, plus de banquise. J’aperçois des taches rouges en forme de main sur la porte vitrée de la banque. Je me surprends à penser que putain, bien fait pour leur gueule. Je me retourne. Une foule à perte de vue. On ne reconnaît plus les rues. What do we want. Climate justice. When do we want it. Now ! Une boule de bien-être réchauffe mon estomac et mon cœur et je m’autorise à penser qu’un autre futur est possible. Mais très vite, les graphiques aux courbes exponentielles me reviennent à l’esprit : PIB, consommation d’eau et d’énergie, gaz à effet de serre, population. Et après un pic, une chute. Je déglutis.

Quelques semaines avant la manifestation, je me rendais à une conférence universitaire. Un plongeon dans ce qu’on appelle la collapsologie. Je suis arrivée une quinzaine de minutes en avance, comme à mon habitude. Pas un chat dans la salle. Je me suis assise, j’ai sorti mon tupperware de mon sac et j’ai commencé à manger tout en vérifiant sur l’événement Facebook que je me trouvais au bon endroit. C’était bien là. Finalement, après quinze minutes, les 300 sièges étaient occupés. La conférence pouvait débuter. Quelques heures plus tard, j’en ressortais sous le choc. J’intégrais encore que l’humain capitaliste avait détruit tout ce qu’il pouvait détruire, exploiter tout ce qu’il y avait à exploiter. On m’avait sous-entendu que mes besoins fondamentaux seraient assurés toute ma vie. Que la vie à l’Occidentale, une vie faite de consommation et plaisirs immédiats, se poursuivrait sans embûche. Je m’étais faite à l’idée que je me dégoterais un job qui donnerait un sens à ma vie, que je fonderais ma petite famille et que je mourrais paisiblement à 80 ans. Et brusquement le réveil. Platon qui sort de la caverne. Je me suis prise la lumière aveuglante du soleil de plein fouet. Moi qui m’imaginais des fondements sociétaux solides, j’apprenais que nous sommes en fait des équilibristes sur un fil. Au bord du déséquilibre. Souvent on préfère ignorer. C’est plus facile, vivre dans le déni. Mais une fois qu’on sait, on sait. Plus de retour en arrière possible. Puis on tente de se renseigner ailleurs, on cherche à mieux comprendre, à trouver des solutions. Mais tous les scientifiques sérieux arrivent à la même conclusion : on est bien dans la merde.

Pas d’échappatoire sur ce coup-là. C’est juste la certitude que le chemin que nous empruntons est destructeur. Et qu’il n’y a pas de sortie d’autoroute possible. Rien qu’une voie, une voiture qui y roule à toute vitesse, les freins sont absents et le volant est totalement bloqué. A quelques centaines de kilomètres un mur nous attend.

La Chaux-de-Fonds, 17 avril 2020, journée des luttes paysannes

La publication a un commentaire

  1. Anonyme

    Très beau texte 🙂

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