Les syndicats doivent se réinventer – réflexions d’un syndiqué sur les organisations de salarié.e.s

[Note de blog. Ce texte n’engage pas la Grève pour le Climat. Ce blog est ouvert à tou.te.s, n’hésitez pas à envoyer vos textes à [email protected]]

Face à l’urgence environnementale et climatique, les syndicats doivent se réinventer. Il ne s’agit pas ici de dire que les syndicats seraient actuellement mal organisés, que leurs idéaux seraient inadéquats ou que les syndiqué.e.s feraient n’importe quoi.

Il est question ici d’une urgence, une urgence qui nous touche tou.te.s et que les syndicats peuvent, j’en suis convaincu, atténuer.

Souvent, j’entends dire que le rôle des syndicats est de garantir des salaires dignes, que leur rôle dans les caisses de prévoyance est de maximiser le montant des retraites et que les syndiqué.e.s n’ont que faire d’investissements durables écologiquement. J’entends aussi dire que le rôle des organisations de salarié.e.s ne serait pas de faire de l’écologisme, qu’il ne faudrait pas mélanger les luttes à outrance.

Pourtant, historiquement, les syndicats ont toujours été impliqués dans les luttes sociales au sens large. Les syndicalistes révolutionnaires de la CGT française ou les anarchistes de la CNT espagnole, par exemple, voulaient changer la vie des travailleurs.euses dans son ensemble. Aujourd’hui, les syndicats suisses restent actifs dans les luttes impliquant étranger.e.s, « sans-papiers », etc. et dans les luttes féministes. Et ils sont déjà, pour certains, impliqués dans l’Alliance climatique. Il n’est donc pas absurde de penser que les syndicats peuvent s’engager dans la lutte écologiste.

De nombreux autres exemples existent, mais il serait fastidieux de les énumérer. Je citerai donc seulement un exemple récent :

Il y a quelques semaines, 130 personnes membres de différents corps de métier ont occupé un chantier naval à Belfast et réclament, outre la nationalisation des chantiers, une production d’énergie renouvelable sur le site1.

Si elle est victorieuse, cette action montrera que l’action syndicale peut, en poussant à adopter des pratiques allant dans le sens de la préservation de l’environnement, garantir de nombreux emplois.

Cet argument devrait suffire à convaincre les membres des syndicats de s’engager dans la lutte écologiste : à court et moyen termes, ladite lutte écologiste permet de garantir des places de travail, et donc d’éviter chômage et autres maux.

Mais cet argument ne me convainc pas. Si les syndicats ont pour rôle de défendre les droits des salarié.e.s au travail, ils devraient surtout avoir pour rôle de défendre les intérêts des travailleurs.euses dans la vie en général.

Souvent les syndicats ont été à l’avant-garde de luttes qui n’avaient pas directement à voir avec les salaires, les retraites ou le temps de travail (même si, indirectement, si), par exemple, pour reprendre les syndicats cités plus haut, dans la lutte contre les nationalistes espagnols et leurs alliés fascistes et nazis, et dans la lutte contre le régime de Vichy et son suzerain nazi.

Ces luttes héroïques servaient les travailleurs.euses : l’ennemi combattu voulant en effet augmenter le temps de travail, faire passer le profit avant le bien-être des salarié.e.s, baisser les salaires, voire exterminer de larges fractions de la classe ouvrière et de la population en général. Il a fallu pour éviter cela transcender les rôles théoriquement dévolus aux syndicats, pour faire face à une menace gigantesque.

Or, nous faisons aujourd’hui face à une menace gigantesque.

Si nous ne nous battons pas suffisamment fort, nous seront tou.te.s perdant.e.s.

Si l’air devient irrespirable (cela parait fou, mais c’est le cas par exemple dans certaines zones industrielles en Chine), ce n’est pas une hausse de salaire de 0,2 % qui va changer quoi que ce soit.

Si des îles entières et des littoraux disparaissent et que cela oblige des millions de personnes à fuir, ce n’est pas la paix du travail qui nous sauvera.

Si nos forêts disparaissent (ou se modifient plus vite que ce que nous sommes capables d’encaisser – rappelons que les forêts jurassiennes sont en train de dépérir) ; si nos sols continuent à disparaître (comme dans l’Entre-deux-Lacs, où ils s’évaporent littéralement, comme à chaque fois que l’on cultive sur de la tourbe) ou à perdre de leur fertilité; si les pollinisateurs (abeilles de différentes espèces, papillons…) disparaissent ; si nos printemps sont faits d’inondations et nos étés de sécheresses; etc., alors les gestionnaires des caisses de pension auront l’air malin d’avoir favorisé des investissements rentables plutôt que des investissements écologiquement durables.

Il nous faut prendre conscience du fait que si nous ne faisons rien, nous y perdrons tou.t.es. Et que l’urgence est absolue. Ce n’est pas demain qu’il faudra agir, c’est maintenant (ou il y a plusieurs décennies, plutôt).

Et les syndicats ont un rôle important dans cette action, car ils sont enracinés dans le système économique. Or, ce système économique, le capitalisme, repose sur une croissance continue. Mais une croissance illimitée n’est pas possible dans un environnement limité tel que l’est le nôtre. Nous devons donc nous débarrasser du capitalisme.

Et pour cela, nous devons notamment réduire les transports absurdes de marchandises réalisés dans le but de grappiller quelques sous.

Défendre et renforcer le service public.

Développer les transports en commun et réduire la mobilité motorisé individuelle, qu’elle soit thermique ou électrique.

Réinventer notre agriculture.

Réduire notre consommation d’énergie, de vêtements, d’électronique, d’emballages, de produits animaux, de pétrole, de terres rares, etc.

Forcer les entreprises à respecter des normes écologiques et sociales strictes. Et à terme socialiser l’économie, la planifier et l’auto-gérer.

Et tout cela doit se faire de manière collective, pour éviter que les pauvres, les précaires, les classes moyennes, la paysannerie, les consommateurs.trices, ne supportent seul.e.s le coût des changements nécessaires.

Syndiqué.e.s, il en va de notre avenir, et de celui de tou.t.es les travailleurs.euses et de toute la population. Faisons nôtres les revendications de la Grève pour le Climat :

  • Nous exigeons que la Suisse déclare une urgence climatique nationale : « La Suisse reconnaît la catastrophe climatique comme une crise qu’il faut surmonter. Elle doit donc réagir à cette crise et informer la société avec compétence. »
  • Nous exigeons que d’ici 2030, la Suisse ne produise plus d’émissions nettes de gaz à effet de serre en Suisse, et ceci sans prévoir de technologies de compensation.
    La réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre devra être d’au moins 13% par année entre le 1.1.2020 et le 1.1.2024, et ensuite d’au moins 8% par année jusqu’au 1.1.2030. Tous ces pourcentages se rapportent au niveau d’émissions de 2018.
  • Nous exigeons la justice climatique.

Dans le cas où il serait impossible d’accéder à ces revendications dans le système actuel, un changement de système est nécessaire pour surmonter cette crise.

Ne nous contentons plus de prises de positions molles non suivies d’effets et d’actions de faible portée. De nombreux syndicats soutiennent officieusement ou officiellement la Grève pour le Climat. Leur presse évoque même la grève générale. L’USS, avec d’autres, organisent une gigantesque manifestation le 28 septembre. Les enseignant.e.s du SSP ont très tôt soutenu les jeunes grévistes. Tous les syndicats actifs dans l’éducation ou presque ont pris position contre d’éventuelles sanctions. SUD-EP s’est engagé à lutter contre une éventuelle répression dans la canton de Vaud. De nombreux syndicats ont prêté du matériel à la Grève pour le Climat, etc. Mais, même si le mouvement de grève a eu des effets (intégration des grévistes dans différents plans climat, motions populaires acceptées par le Grand Conseil neuchâtelois, menace pour les sièges UDC, propulsion du climat et de l’environnement en tête de l’agenda politique…), cela ne suffit pas encore à inverser la tendance.

Faisons du lobbying auprès des politicien.ne.s.

Forçons les caisses de pension et les États à investir durablement.

Mettons à bas les banques et les instituts de négoce.

Débarrassons-nous d’un système économique basé sur une croissance infinie alors que les limites écologiques sont dépassées les unes après les autres.

Comprenons enfin que si nous favorisons nos retraites à court terme, que si nous respectons le statu quo dans le monde du travail, qui si nous ne nous lançons pas dans une lutte écologiste radicale et acharnée, le reste n’aura plus guère d’importance.

Il est de notre intérêt à tou.te.s de lutter pour garantir la viabilité de notre environnement commun.

Créons nos propres structures aptes à préserver nos conditions de vie à long terme.

Bâtissons la grève générale pour le climat.

L’urgence est absolue. Mais courage, camarades, nous vaincrons la fin du monde!

Robin A.,

Syndiqué et membre très actif du mouvement de la Grève pour le climat

1: https://www.vice.com/en_us/article/8xwanz/workers-seize-the-shipyard-that-built-the-titanic-to-make-renewable-energy

2: https://www.lesechos.fr/2016/01/la-fertilite-des-sols-part-en-poussiere-191459

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